L’immeuble est cossu, c’est un bel immeuble du début du siècle avec ses garde corps en fer forgé, ses pierres de taille, sa lourde porte vitrée…
Le hall d’entrée est spacieux et ses murs, recouverts de miroirs permettent aux habitants d’ajuster leur tenue et de peaufiner leur maquillage avant de vaquer à leurs occupations. Une superbe moquette pourpre recouvre ses escaliers et une rampe sculptée montre le talent des artisans d’alors. L’ascenseur à la grille ajourée vous conduira jusqu’au septième. A chaque étage, un palier suffisamment vaste offre à ses locataires un espace convivial où échanger.
Au second vit Jean, vieux garçon de 45 ans environ, cheveux mi-longs, habits démodés ou indémodables, poli, quoique pas toujours enclin aux bavardages, sans activité reconnue ou avouable. Il est curieux, nourrit les chats malingres du quartier, rentre au petit matin d’on ne sait où, camoufle le contenu de son caddie au regard fureteur d’une des locataires du septième. Il semble bien l’aimer celle-ci. Par deux fois déjà, il lui a écrit de superbes lettres d’amour, c’est lui qui le dit, dans lesquelles il est question d’étoiles et de rayonnement, dévoilant ainsi une âme sensible, contrariant son image de ténébreux bourru. L’immeuble est sa maison, appartements et occupants n’ont aucun secret pour lui. Derrière ses épaisses lunettes, ses yeux captent, observent, surveillent…
Au premier, ses parents, deux vieux croates à la retraite; elle, petite femme charmante raconte volontiers la Croatie de son enfance, le magasin de vêtements de la rue des Saints Pères, l’appartement des amandiers et puis Jean, son Jean si gentil mais si bizarre aussi, qu’elle endormait dans l’ascenseur, quand bébé, il luttait contre le sommeil.
Au troisième, la chaleur et la sensualité de l’Afrique du Nord, Malek et Leila, qui vient de donner naissance à un adorable petit Abdelkrim. Leur porte est toujours ouverte, leur table toujours appétissante, elle invite qui passe. Malek est devenu l’un des piliers du bistrot du coin depuis que Leila, enceinte, lui préfère la compagnie de ses copines.
Tenu par deux originaux, ce bistrot est rapidement devenu le repaire des occupants du 41 rue Théophile Roussel. On y descend pour les autres, pour le plaisir, pour rompre d’avec sa solitude, on y est toujours chaleureusement accueilli.
Malek est un trafiquant : drogue, femmes…il rôde souvent au septième.
Quand on arrive au quatrième, on est attiré par un drôle de paillasson qui entre chez Ludivine et Jonathan, gentil couple sans histoire apparemment, fort pressé de déménager néanmoins…
Au cinquième, on trouve Christobald, généreux, joyeux, on ne peut guère compter sur lui mais il a bon fond, susceptible et fidèle, il est toujours partant pour partager une bonne bouteille et faire la fête.
Sa voisine, c’est Yolande, elle est propriétaire de son appartement, bien décoré, lumineux, il y ferait bon vivre si l’odeur de son chien qui ressemble à un rat n’ imprégnait les rideaux, la moquette…Christobald et Yolande entretiennent des relations courtoises, Christobald s’occupe du chien quand Yolande doit s’absenter.
Au sixième, deux petites grand-mères, voisines et amies depuis la nuit des temps, charmantes. Elles aiment la jeunesse, les fêtes organisées par les locataires du dessus, « ça met de la vie » disent elles. Comme l’état de santé de l’une n’est pas satisfaisant, l’autre s’occupe d’elle avec patience et dévouement et il en faut car la malade a du caractère.
Au septième, ils sont nombreux au septième ! Les appartements sont plus petits, tous différents, ravissants, c’est tout le charme de cet immeuble.
D’abord il y a Amandine et Joël, ils partagent 28 m2, ils sont très amoureux et supportent avec compassion les états d’âme de leurs deux voisines célibataires.
A côté, qui partage leurs ébats si elle tend l’oreille, la première voisine célibataire, Marie, institutrice, organisée qui aime par dessus tout : ses amants, faire la fête, les voyages et faire le ménage pour calmer ses angoisses. Elle aime les gens en général, toujours souriante, elle s’attire des sympathies. Elle apprécie particulièrement Christobald qui lui a donné la clé de son appartement et chez qui elle va souvent bavarder en vidant quelques verres.
Au fond du couloir la deuxième voisine célibataire, Catherine, elle n’a plus envie de travailler. Elle joue avec les couleurs pour embellir sa vie. Sa maison est un joyeux capharnaüm, mélange de linge propre et sale roulé en boules dans le placard à chaussures, tasses de café et assiettes usagées empilées dans l’évier…
Toutes deux partagent néanmoins un goût prononcé pour le sexe, l’introspection, l’alcool, l’écriture, la souffrance, les questions sans réponse, la vie en général et en particulier. Chaque détail de leur quotidien devient anecdote qui devient roman et nourrit leur imagination débordante. En quête d’absolu, elles préfèrent rêver leur vie plutôt que la vivre. D ‘aventures en aventures, elles se cherchent, se blessent, se protègent.
Au septième il y a aussi Jacques, pas le dernier amant de Catherine, non, Jacques le musicien célèbre, l’artiste, l’alcoolique notoire. Il ne se soumet à aucunes des règles élémentaires de l’hygiène. Dans l’ascenseur avec lui, le temps semble infiniment long tant son corps exhale une odeur nauséabonde.
C’est d’ailleurs peu de temps après son arrivée qu’ils ont investi les lieux. On a commencé à en rencontrer, notamment dans les étages supérieurs. Ils ont élu domicile pendant le mois d’août alors que, ne se doutant de rien, locataires et propriétaires bullaient sur la plage.
S’installant chez l’un, visitant chez l’autre, ils se sentaient partout chez eux.
C’est Marie qui a donné l’alerte et tout a été mis en œuvre pour les persuader d’emménager ailleurs mais rien n’y a fait. Renforçant leur bataillon, de plus en plus nombreux, on les croisa bientôt au premier.
Les habitants commencèrent à avoir peur, d’autant qu’un des leurs, forcément complice, permettait cette invasion.
Alors un plan d’attaque plus radical vit le jour dans l’ascenseur que les indésirables n’empruntaient pas. Chaque matin, des messages codés recouvraient le miroir du monte charge, créant des liens entre les occupants des lieux. Ainsi des amitiés se nouèrent et des soupçons commencèrent à peser sur l’un ou l’autre. Qui avait intérêt à leur présence, qui leur avait facilité la tâche à ce point ?
Un vent de folie commençait à habiter l’immeuble.
C’est sur Jacques que pesaient les soupçons, en effet un soir une des ses voisines en avait vus sortir de chez lui, en bande, l’air de rien.
Mais malgré de multiples tentatives pour lui faire avouer…
Un après midi pourtant, une des locataires de septième, contrainte d’emprunter les escaliers recouverts de pourpre pour cause de panne d’ascenseur, éprouva un profond sentiment de……………………………………………………………………………………………..
SOULAGEMENT !
Dès le cinquième, des cadavres jonchaient le sol, les corps s’enchevêtraient, s’amoncelaient sur la superbe moquette rouge…une odeur suffocante envahissait l’air…
Plus un seul ne semblaient en vie.
Enfin songea t-elle, enfin, ils sont venus !
Enfin la vie reprendra comme avant, légère sans histoire.
La désinsectisation avait fait son œuvre.
Les cafards étaient anéantis !