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Il semblerait que pas une semaine ne puisse passer en France sans qu’un autre débat sur les tenues des femmes et des filles, le plus souvent initié par des hommes dont l’avis n’a jamais été sollicité par les intéressées, n’agite l’opinion publique. Ainsi depuis quelques semaines, ce sont les habits des collégiennes et lycéennes françaises qui déchaînent les passions dans le pays.
Tout a commencé à la mi-septembre lorsque le hashtag #Lundi14Septembre a été lancé sur les réseaux sociaux par de jeunes militant.e.s pour protester contre les injonctions vestimentaires et règles sexistes en place dans leurs établissements scolaires, appelant tout simplement les adolescent.e.s à revêtir un short ou une jupe ce jour-là. Ce hashtag a fait écho au mouvement #BalanceTonBahut, lancé quelques semaines auparavant, qui avait déjà mis en lumière le sexisme latent dans les écoles françaises au travers de centaines d’histoires de harcèlement et d’agressions sexistes et sexuelles. L’une des histoires ayant le plus été relayée par les médias est celle d’un proviseur de Vizille qui, après avoir adressé un mail aux élèves les conseillant vivement de ne plus porter de « tenues provocantes et indécentes », écrivait dans un autre mail, à propos d’une élève qui avait protesté ces consignes vestimentaires, “[e]lle ne manque pas d’air la merdeuse. Je n’ose te dire ce que je lui souhaite. Signé : Michel Fourniret”. Cette histoire est malheureusement loin d’être un cas isolé et reflète bien des problèmes systémiques réels qui affectent au quotidien des milliers de jeunes filles.


« La Liberté Guidant le Peuple » d’Eugène Delacroix

“Voilé ou dévoilé, le corps féminin est toujours coupable”

On aurait pu croire que de tels agissements seraient condamnés à l’unanimité et le mouvement des lycéen.ne.s soutenu par un gouvernement qui ne cesse de mettre en avant le caractère essentiel de l’égalité dans les écoles françaises. Pourtant, le Ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer a pris le parti du slut shaming à peine déguisé en appelant les élèves à se vêtir « d’une façon républicaine », pendant que d’autres comme Alain Finkielkraut se plaignait quelques jours plus tard que croiser des jeunes filles en crop top dans la rue le « déconcentrait ». Cette marée noire de déclarations et avis nauséabonds (et toujours non-sollicités par les intéressées) a atteint son paroxysme avec la publication dans le journal Marianne d’un sondage Ifop sur les tenues que les jeunes lycéennes auraient ou non le droit de porter. De l’initiative même du sondage au contenu des questions, en passant par les dessins, tout est problématique, mais reflète bel et bien un phénomène plus large et bien ancré dans les mœurs françaises qui permet à tout un.e chacun.e de se sentir légitime à donner son avis sur ce que portent et font les femmes. 


Sondage Ifop pour Marianne du 24 septembre 2020  » POUR LES FRANCAIS, QU’EST-CE QU’UNE « TENUE CORRECTE » POUR UNE FILLE AU LYCÉE ? » – question « Souhaitez-vous que les lycées publics autorisent ou interdisent aux filles le port des vêtements suivants dans l’enceinte de leur établissement ?

Déjà durant l’été 2020, plusieurs affaires ayant trait aux tenues des femmes dans l’espace public avaient fait débat sur les réseaux sociaux. Ainsi, alors que des gendarmes ordonnaient à des vacancières bronzant seins nus sur une plage de Sainte-Marie-la-Mer de se rhabiller, une parisienne se voyait refuser l’entrée au Musée d’Orsay car sa robe était jugée trop décolletée. La solution pouvait alors apparaître claire : les femmes n’ont qu’à se couvrir plus pour avoir moins de problème. Un slogan tout trouvé : « plus d’habits, moins de souci » ! Mais c’est sans compter sur notre bonne vieille société patriarcale qui redouble toujours d’ingéniosité – et de paradoxes – lorsqu’il s’agit de contrôler le corps des femmes. Parce que se couvrir « trop » en France, c’est aussi un problème. On ne compte plus en effet le nombre de femmes persécutées par la police sur les mêmes plages où des seins nus semblent désormais déranger, au seul motif qu’elles étaient vêtues d’un « burkini », ou encore le nombre de débats télévisés entre personnes qui ne côtoient jamais de près ou de loin des femmes musulmanes, mais se sentent pourtant légitimes à donner leur avis sur ce qu’elles devraient ou non porter. Bref on l’avait bien deviné, il ne s’agit pas vraiment de tenues, mais de pouvoir et de maintien de l’ordre établi. 

Le prétexte fallacieux de l’exception culturelle française

Ce phénomène, bien qu’il soit présent dans de nombreux pays et sous de nombreuses formes, a la particularité en France d’être souvent légitimé par la fameuse « exception culturelle » française. Cette expression est utilisée pour caractériser certaines spécificités, actuelles ou passées, de la France par rapport aux autres pays d’Europe, voire du monde, dans le secteur de la culture au sens large. Chaque pays a pourtant des spécificités culturelles bien distinctes de celles de ses voisins, mais le complexe de supériorité de la France nous a amené à créer une notion à part pour désigner les nôtres, et même à l’utiliser à des fins d’expansion impérialiste. L’exception culturelle suppose donc non seulement de manière inhérente une supériorité de la culture française sur les autres, mais sert également d’excuse depuis des siècles pour imposer notre langue, nos philosophes ou encore nos mœurs aux cultures jugées inférieures. Ce concept imbibé de colonialisme et de paternalisme a donc toujours été un outil de maintien du pouvoir et de contrôle sur les corps opprimés. 

Il nous est aujourd’hui régulièrement servi à toutes les sauces et dans toutes sortes de débats, mais est particulièrement utile à certain.e.s pour justifier ou défendre des pratiques sexistes et archaïques qui ont libre cours dans le quotidien de nombreuses françaises. C’est ainsi qu’en 2018, 100 femmes montaient au créneau dans le quotidien Le Monde afin de défendre « une liberté d’importuner », «  la drague insistante ou maladroite » et la galanterie bleu-blanc-rouge, qui s’opposeraient toutes à un puritanisme victimisant que chercheraient à nous imposer le mouvement #metoo et autres féminazis. En filigrane, les autrices de cette tribune brandissent l’exception culturelle française, synonyme selon elles de romantisme innocent et de gentilshommes qui tiennent la porte du restaurant en vous passant une insignifiante main aux fesses, pour justifier et légitimer un fourre-tout de « pratiques » allant d’actes d’agressions sexuelles réprimés par la loi au harcèlement dans le métro (qui eut cru que Catherine  Deneuve était une si fervente adepte de la ligne 13 ?), en passant par les « compliments » (encore non-sollicités) reçus de la part d’inconnus dans la rue. Les signataires du texte prétendent pourtant défendre la « liberté sexuelle », mais ne défendent en réalité que celle des hommes (blancs) de disposer des corps des femmes au gré de leurs envies, au nom de cette supposée exception culturelle, garante du maintien du statu quo des rapports de domination. 

Si l’on y regarde de plus près, le même argumentaire est utilisé s’agissant du contrôle des tenues des femmes, et par extension de leurs corps, et crée une logique dans laquelle elles ont toujours tort, quoi qu’elles portent et quoi qu’elles fassent, éternellement coincées entre les mythes de la vierge et de la putain. On nous oppose sans cesse l’argument que notre féminisme « radical » et nos combats sont importés, surtout des Etats-Unis, et qu’ils n’ont pas lieu d’être dans notre cher hexagone où règnent la galanterie et la séduction candide, puisqu’ils nous enfermeraient dans une société puritaine et totalitaire dans laquelle « on ne peut plus rien dire »™, et encore moins badiner et faire l’amour tranquilles. 

En vérité, c’est bien tout le contraire que ce féminisme- propose : une société dans laquelle chacun.e serait libre de porter ce qu’il ou elle souhaite, indépendamment de son genre, et ce sans avoir peur que son intégrité physique soit atteinte ou mise en danger dans l’espace public. Une revendication qui paraît somme toute simple, mais qui semble décidément trop difficile à intégrer au pays de l’exception culturelle, où la seule véritable exception est en réalité l’incapacité à remettre en question un conservatisme profondément ancré dans notre société qui se pense si libérée.  

Pour aller plus loin: 

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Anne-Lise Vray

Anne-Lise Vray est une féministe intersectionnelle, née en France et installée à Barcelone.

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